Revirement de jurisprudence : la fusion-absorption n’entraîne pas l’extinction de l’action publique dirigée contre l’absorbée

Cour de cassation, chambre criminelle, 25.nov.2020, n°18-86.955 FS PBI, Société Iron Mountain France

Par un arrêt en date du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence majeur au sujet du transfert de la responsabilité pénale à l’occasion des opérations de fusion-absorption.

Il était auparavant de jurisprudence constante, en France, que la société absorbante ne pouvait être pénalement tenue pour responsable de faits commis par la société absorbée préalablement à l’opération de fusion, sauf en cas de fraude.

Ce raisonnement procédait d’une application littérale des dispositions des articles 121-1 et 6 du Code pénal aux termes desquels « nul n’est responsable que de son propre fait » et qui subordonnent l’exercice et la poursuite de l’action publique au maintien en vie du prévenu.

Cette approche fait parfaitement sens lorsqu’elle concerne des personnes physiques, à qui les notions de vie et de mort résonnent aisément. Elle peut toutefois être critiquée lorsque transposée à des personnes morales, notamment parce que leur disparition peut être organisée et qu’elle n’engendre pas les mêmes conséquences économiques.

C’est d’ailleurs en ce sens que s’était prononcée la Cour de Justice de l’Union Européenne dans un arrêt en date du 5 mars 2015 (n°343/13) pour admettre, sur le fondement de la directive européenne dite « fusion » du 9 octobre 1978, qui vise à uniformiser les régimes applicables aux fusions des sociétés anonymes, qu’une société absorbante puisse être tenue au paiement d’une amende pour des faits commis par la société absorbée.

Cette position, jusque-là rejetée par les juridictions françaises, vient finalement d’être ralliée par la Cour de cassation.

Effectivement, la disparition d’une personne morale n’est en réalité que peu similaire à celle d’une personne physique, surtout lorsqu’elle intervient à l’occasion d’une opération de fusion.

Comme le rappelle la Cour de cassation, une telle approche anthropomorphique ne résiste pas à un examen factuel et, pour le moins logique, des différences entre le décès d’une personne physique et la dissolution d’une personne morale.

Plus encore, la fusion-absorption entraîne une transmission universelle du patrimoine de l’absorbée à l’absorbante, de sorte que la société dissoute continue d’avoir une existence économique, portée par la société absorbante.

Ce revirement de jurisprudence peut donc paraître compréhensible en ce qu’il retient une approche corrélée à la réalité économique et met fin à une doctrine fondée sur une analogie entre le décès d’une personne physique et la dissolution d’une personne morale.

Néanmoins, la portée de cet arrêt mérité d’être précisée, notamment en ce qu’il ne s’applique qu’aux sociétés anonymes, visées par la directive européenne, et aux sociétés par actions simplifiée dont le régime est calqué sur les premières, sauf incompatibilité. Il n’en demeure pas moins que l’éventail des sanctions auxquelles la société absorbante peut être condamnée, sur le fondement de la directive fusion, est relativement limité, ne concernant que les peines d’amende et de confiscation.

Enfin, conformément au principe de prévisibilité de l’article 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, cette jurisprudence ne sera applicable qu’aux fusions intervenues postérieurement au 25 novembre 2020.

Pour aller plus loin :

La Cour rappelle que le transfert de la responsabilité pénale d’une société absorbée vers une société absorbante peut également s’opérer sur le fondement de la fraude, indépendamment de l’application de la directive fusion.

Dès lors, alors que ladite directive ne concerne que les sociétés par actions, les autres formes sociales pourraient se voir appliquer un transfert de responsabilité pénale, lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objet de soustraire la société absorbée à sa responsabilité pénale.

Plus encore, le transfert de responsabilité pénale analysé sous le prisme de la fraude est bien plus complet que celui issu de la directive fusion dans la mesure où il concerne toute sanction applicable à une personne morale, sans limitation aux seules sanctions de nature patrimoniale (amendes et confiscation notamment).

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