La réforme du droit des contrats a incontestablement renforcé le volet des moyens mis à la disposition d’une partie à un contrat pour réagir à son inexécution par l’autre et ce sans l’intervention d’un juge.

A cette occasion, le panel des formes de légitime défense contractuelle s’est enrichi d’une forme nouvelle d’exception d’inexécution.

La réécriture du Code civil n’a en effet pas seulement consacré, aux termes du nouvel article 1119, l’exception d’inexécution telle qu’elle était traditionnellement appréhendée, à savoir la possibilité pour une partie de refuser d’exécuter son obligation, lorsqu’elle est exigible, dès lors que l’autre n’exécute pas sa propre obligation et que cette inexécution est suffisamment grave.

Le nouvel article 1120 du Code civil, dans une logique beaucoup plus protectrice encore du créancier, permet en effet à une partie de « suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ».

Une telle faculté paraît de prime abord très intéressante pour un créancier.

Elle est en effet de nature à lui éviter d’exécuter ses obligations en pure perte, puisqu’en considération de l’inexécution de ses obligations par son débiteur pouvant être anticipée, elle l’autoriserait à s’en dispenser.

Un tel mécanisme a néanmoins manifestement des limites, qui doivent être bien appréhendées.

L’exercice par un créancier de cette faculté qui lui est conférée est en effet subordonné au caractère manifeste de l’impossibilité dans laquelle se trouverait son débiteur de s’exécuter, à terme.

Il s’agit d’une circonstance de fait dont la preuve incombera au créancier et dont la caractérisation pourra être rendue difficile, au moment où le créancier pratiquera l’exception d’inexécution, dans la mesure où il s’agira d’un évènement ayant vocation à s’inscrire dans le futur, qui par essence sera susceptible de ne pas se réaliser, déjouant l’anticipation du créancier.

La prudence semblerait par conséquent commander à un créancier de ne mettre en œuvre une telle faculté que dans l’hypothèse où l’inexécution par son débiteur de ses obligations à leur échéance serait certaine et pourrait être aisément prouvée.

Car, s’agissant d’une faculté offerte au créancier, elle aura vocation à être exercée par lui à ses risques et périls, ce qui l’exposera en cas de mise en œuvre fautive, à l’exercice par le débiteur lui-même des moyens offerts à un créancier en cas de manquement de son cocontractant, comme la faculté de solliciter l’exécution forcée en nature des obligations méconnues ou l’octroi de dommages-intérêts en réparation des conséquences dommageables de l’inexécution.

Les modalités de mise en œuvre par le créancier de cette nouvelle forme d’exception d’inexécution doivent par ailleurs être appréhendées par rapport au droit des entreprises en difficulté qui tend précisément à assurer la continuation et l’exécution des contrats conclus par le débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Or le nouvel article 1161 du Code civil paraît constituer un sérieux moyen de contrarier un tel objectif, ce qui pose question quant à sa portée à l’égard d’un droit qui déroge à beaucoup d’égards au droit commun des contrats.

Si le créancier semblerait devoir continuer à ne pouvoir se prévaloir, en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’égard de son débiteur, de l’inexécution antérieure à celle-ci de ses obligations pour empêcher la continuation du contrat, l’article 1161 lui permettrait-il de se prévaloir de l’inexécution à venir de celui-ci pour suspendre l’exécution de ses propres obligations ?
Si rien ne paraitrait s’y opposer, les premières décisions de jurisprudence sur le sujet devraient utilement venir le confirmer.

En tout état de cause, dans le contexte d’une procédure collective, les enjeux liés à la suspension par le créancier de l’exécution de ses obligations commanderaient encore plus de prudence dans la mise en œuvre de la faculté offerte, au regard de ce que pourraient être ses conséquences pour le débiteur dès lors qu’elle serait fautive.

Morgan Jamet

Morgan Jamet

auteur

avocat associé

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