Répétition de prestations de vieillesse obtenues par fraude : la Cour de cassation clarifie la distinction à opérer entre le délai s’appliquant à l’action et celui servant au calcul de la créance à recouvrer.

Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 mai 2023, n°20-20.559

Réunie en Assemblée Plénière le 17 mai 2023, la Cour de Cassation vient de rendre un très utile arrêt dans une affaire où un assuré bénéficiaire d’une pension de réversion, versée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), avait frauduleusement omis de déclarer certains revenus complémentaires qui auraient dû limiter son droit à percevoir une pension.

Près de six ans après le début du versement de sa pension de réversion, ledit assuré a fait l’objet d’un contrôle de ressources, à l’issue duquel son omission a été détectée et a conduit la Cnav à solliciter la restitution des prestations indument versées, ce qu’il a évidemment tenté de contester.

En appel, les juges ont considéré que l’action en répétition de la Cnav avait bien été exercée dans le délai de cinq ans, prévu par l’article 2224 du code civil[1], lequel court en effet à compter du jour de la découverte de la fraude et non à compter de celui de sa commission.

En ce qui concerne le montant des sommes à restituer par le fraudeur, les juges ont en revanche considéré que la Cnav n’était pas fondée à remonter plus de cinq ans en arrière à compter de la découverte de la fausse déclaration, conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil.

Insatisfaite de la décision rendue en appel, la Cnav a formé un pourvoi aux termes duquel elle a notamment soutenu que le délai de cinq ans, prescrit par l’article 2224 précité, avait vocation à limiter dans le temps le droit d’agir en répétition de l’indu et non à limiter la période servant au calcul des sommes à restituer.

Aux termes de son arrêt du 17 mai 2023, la Haute Juridiction a rappelé que le délai de deux ans courant à compter « du paiement [des] prestations dans les mains du bénéficiaire » applicable à l’action en remboursement de prestations, prévu par l’article L355-3 du code de la sécurité social[2], s’effaçait, en cas de fraude, au profit du délai de cinq ans, courant à compter de la connaissance de la fraude, prévu par l’article 2224 du code civil, solution qui n’était pas sérieusement discutée.

La Cour de cassation a ensuite énoncé, et c’est l’apport principal de sa décision, que le délai de cinq ans de l’article 2224, s’appliquait exclusivement au délai pour introduire l’action en répétition de l’indu, mais qu’il n’avait pas « d’incidence sur la période de l’indu recouvrable ».

S’agissant justement de la période de l’indu recouvrable, la Cour de Cassation rappelle qu’en l’absence de dispositions particulières, c’est le délai de droit commun de vingt ans de l’article 2232 du code civil[3] qui doit s’appliquer, permettant ainsi au solvens (ici la Cnav) de se faire rembourser des sommes versées jusqu’à vingt ans en arrière.

Il est à noter que la position défendue par la Cour de Cassation n’est que la confirmation de la solution récemment dégagée par le Conseil d’Etat, au travers de trois arrêts[4] aux termes desquels il a été jugé que : « la prescription quinquennale […] ne porte que sur le délai pour exercer l’action, non sur la détermination de la créance elle-même ».

Une partie de la doctrine est relativement critique par rapport à cette décision, au motif qu’elle aboutirait à une sanction trop sévère pour l’accipiens, ainsi exposé au risque de devoir rembourser des sommes encaissées pendant vingt ans.

Il est toutefois rappelé qu’en 2021, le montant de la fraude en matière de pensions était estimé à 9 milliards d’euros[5] et qu’en l’absence de fraude, la période de recouvrement est limitée à trois ans, le délai pour agir étant de son côté rapporté à deux ans.

[1] Article 2224 Code civil : «Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

[2] Article L355-3 du code de la sécurité sociale« Toute demande de remboursement de trop-perçu en matière de prestations de vieillesse et d’invalidité est prescrite par un délai de deux ans à compter du paiement desdites prestations dans les mains du bénéficiaire, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration. »

[3] Article 2232 code civil : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.Le premier alinéa n’est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 22272233 et 2236, au premier alinéa de l’article 2241 et à l’article 2244. Il ne s’applique pas non plus aux actions relatives à l’état des personnes. »

[4] CE, le 20 septembre 2019, n° 420406 ; 420489 ; 419659

[5] Source : L’Assurance retraite https://www.lassuranceretraite.fr/portail-info/hors-menu/actualites-nationales/institutionnel/2021/la-lutte-contre-la-fraude-au-sei.html#:~:text=Rapport%C3%A9es%20au%20volume%20total%20des,de%209%20milliards%20d’euros.

Jefferson Larue

Jefferson Larue

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Agathe Posty

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