Point sur les dernières évolutions de la jurisprudence qui a invalidé dans plusieurs secteurs ce dispositif dérogatoire à la durée légale du travail.
Rappels des conditions de recours aux conventions de forfait annuel
La loi autorise la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année lorsque (C. trav. art. L 3121-39) :
– elle est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ;
– cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Il faut en outre :
– l’accord du salarié et un écrit (C. trav. art. L 3121-40) ;
– que soit tenu chaque année un entretien individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année et portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié (C. trav. art. L 3121-46).
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 juin 2011
C’est par un arrêt de principe du 29 juin 2011 que la Cour de cassation a inauguré un contrôle de la validité des conventions individuelles de forfait (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-71107 FS-PBRI).
Il a en effet été jugé que :
– le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;
– il résulte des articles susvisés des Directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;
– toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
Sur la base de ces principes, eux-mêmes tirés de normes constitutionnelles et européennes, la Cour de cassation a exercé un double contrôle en examinant :
– si les dispositions de l’accord collectif en cause étaient en elles-mêmes de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ;
– si l’employeur avait respecté les obligations imposées par cet accord collectif.
A défaut, la convention annuelle de forfait est « privée d’effet ». Ce qui entraîne l’application de la durée légale du travail et donc, potentiellement, le paiement des heures supplémentaires accomplies depuis 5 ans (3 ans avec l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et sauf dispositions transitoires). A charge pour le salarié de rapporter la preuve de l’existence de ces heures supplémentaires (Cass. soc. 5 juin 2013 n° 12-14729).
A noter que la Cour de cassation introduit désormais une distinction dans la sanction selon que les dispositions conventionnelles sont invalides, auquel cas la sanction est la nullité de la convention individuelle de forfait et l’hypothèse où ces dispositions conventionnelles sont valides mais non ou mal appliquées par l’employeur, auquel cas la convention de forfait se trouve simplement privée d’effet (Cass. soc. 24 avril 2013 n° 11-28398).
La différence : toute convention forfait conclue sur la base de dispositions conventionnelles invalides est nulle tant qu’il n’a pas été conclu à tout le moins un accord d’entreprise sur la base duquel conclure de nouvelles conventions de forfait. La convention de forfait reposant sur des dispositions conventionnelles valides est quant à elle privée d’effet dans la mesure de la méconnaissance par l’employeur des obligations imposées.
Les conventions collectives examinées
C’est donc au gré des espèces qui lui sont soumises que la Cour de cassation valide ou invalide les dispositions conventionnelles autorisant le recours aux conventions individuelles de forfait.
Ainsi, ont été validées les dispositions de l’article 14 de l’accord du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie (Cass. soc. 29 juin 2011 précité).
A l’inverse, ont été invalidées les dispositions :
– de l’article 12 de l’accord-cadre du 8 février 1999 sur l’organisation et la durée du travail dans l’industrie chimique (Cass. soc. 31 janvier 2012 n° 10-19807 FS – PBR) ;
– de l’accord de réduction de la durée du travail des commerces de gros (Cass. soc. 26 septembre 2012 n° 11-14540 FS-PB) ;
– de l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail, pris en application de la convention collective nationale dite « Syntec » du 15 décembre 1987 (Cass. soc. 24 avril 2013 n° 11-28398 FS-PB).
Dans ces trois derniers « secteurs », toute convention de forfait reposant uniquement sur les dispositions visée doit être considérée comme nulle.
Les remèdes
En cas de vice affectant les dispositions conventionnelles elles-mêmes, et sauf nouvel accord au niveau de la branche, il est recommandé de régulariser la situation par la conclusion d’un accord d’entreprise respectant les exigences posées par la jurisprudence s’agissant du droit à la santé et au repos des travailleurs.
Il conviendra également pour l’employeur de mettre en œuvre un dispositif de suivi du temps de travail de nature à permettre d’identifier la charge et la répartition de travail du cadre ainsi que ses amplitudes de travail et de démontrer, en cas de contestation notamment, que ce suivi a bien été réalisé.
Chaouki Gaddada
auteur
avocat associé
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