Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 janvier 2022, n°20-16.782
L’arrêt du 26 janvier 2022 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation éclaire quant à l’articulation des textes applicables entre droit commun et droit spécial au sujet du déséquilibre significatif. Il précise également les conditions de mise en jeu de l’article 1171 du Code civil et ses effets.
Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont classiques en matière de relations entre professionnels.
Une société exerçant une activité de restauration et de sandwicherie a décidé de conclure un contrat de location financière avec une société spécialisée en la matière pour louer du matériel fourni par une société tierce moyennant soixante loyers mensuels de 170 € hors taxes.
À la suite d’impayés, la société louant le matériel a mis en demeure de payer son débiteur en visant la clause résolutoire contenue dans le contrat. La société de location a fait assigner la société de restauration en paiement des sommes dues.
Aux termes d’un jugement rendu le 23 octobre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a condamné la société de restauration à payer les sommes dues à son cocontractant. Cette dernière a décidé d’interjeter appel.
La cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement entrepris pour réputer non écrit l’article 12 des conditions générales du contrat et dire ainsi que le contrat de location n’avait pas été résilié et qu’il se poursuivait, par conséquent, jusqu’à son terme.
La société de location s’est pourvue en cassation en reprochant une mauvaise utilisation du texte de droit commun au détriment du droit spécial, à savoir l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce (antérieurement à l’ordonnance du 24 avril 2019) visant les pratiques restrictives de concurrence. Elle a également reproché une mauvaise application de l’article 1171 du Code civil tant dans l’appréhension du déséquilibre significatif que dans la mise en jeu de la sanction du réputé non écrit.
La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt litigieux en ce qu’il a retenu que le contrat de location financière comportait une clause réservant à la seule société de location la faculté de se prévaloir d’une résiliation de plein droit. La société de restauration ne disposait d’aucune faculté similaire aux termes dudit contrat.
Dans cet arrêt, la Haute juridiction saisit l’occasion de donner la clé de répartition entre l’application du droit commun posé par l’article 1171 du Code civil et du droit des pratiques restrictives de concurrence (l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce).
A ce titre, elle rappelle que l’article 1171 du Code civil a vocation à s’appliquer au seul contrat d’adhésion, lequel se définit par trois éléments à savoir, la présence de conditions générales, la détermination unilatérale et à l’avance de celles-ci par l’une des parties aux contrat et l’absence de négociations autour de ces conditions générales (article 1110 du Code civil).
En pratique, de nombreux contrat d’affaires répondent à ses caractéristiques en ce compris le contrat conclu par les parties en l’espèce.
Tout l’intérêt de déterminer en amont le régime applicable réside dans la caractérisation même du déséquilibre significatif et de sa sanction.
Si sur le fondement de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce, le défaut de réciprocité dans les obligations des parties est fréquemment retenu par les juges comme révélant le déséquilibre dans ces obligations, force est de constater que la solution retenue en l’espèce sur le fondement de l’article 1171 du Code civil est tout autre. (Cour de cassation, Chambre commercial, 12 avril 2016, n°13-27.712)
En effet, la Cour de cassation considère qu’une telle absence de réciprocité se justifie par « la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties ».
Or, bien souvent, « la nature des obligations » empêche toute réciprocité dans la mise en jeu d’une faculté réservée à une partie.
Il semblerait donc que le caractère déséquilibré des clauses non négociables doit être recherché au niveau de l’objet même de ladite faculté qui n’est pas réciproque, lequel s’apprécie in concreto, selon l’économie générale du contrat et non isolément, clause par clause.
Au demeurant, le déséquilibre ne doit pas être recherché sur le terrain de l’adéquation du prix à la prestation à la différence de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce qui permet un véritable contrôle de l’équilibre des prestations financières par les juges du fond.
Étant précisé que la partie qui entend se prévaloir de l’article 1171 du Code civil doit, en outre, démontrer le caractère « significatif » du déséquilibre.
Et pour cause, toute clause abusive au sens du droit commun sera réputée non écrite tandis que sur le terrain du droit des pratiques restrictives de concurrence, l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce prévoit, quant à lui, la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur des pratiques litigieuses, ce qui n’est pas prévu par l’article 1171 du Code civil.
En définitive, l’adage selon lequel « specialia generalibus derogant » n’a pas vocation à s’appliquer automatiquement quant à l’appréhension des déséquilibres contractuels dès lors que l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce ne devrait être cantonné qu’aux relations entre fournisseurs et grands distributeurs.
Laurence Kouassi
auteur
avocate
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